Un premier pas vers l’indemnisation des pertes d’exploitations liées au risque COVID-19

Par ordonnance de référé en date du 22 mai 2020,[1] le tribunal de commerce de Paris a condamné l’assureur Axa IARD France à indemniser (à titre provisionnel) un restaurateur parisien au titre des pertes d’exploitations qu’il subissait à la suite de la fermeture de ses établissements depuis le début de la crise sanitaire de la COVID-19, considérant que la police d’assurance souscrite l’engageait contractuellement et ne contenait pas une exclusion formelle et limitée.[2]

Cette décision, qui a fait l’objet de beaucoup de publicité, est évidemment positive, il convient toutefois de bien garder en tête qu’il s’agit d’une ordonnance de référé uniquement, et que l’ordonnance met l’accent sur le caractère déterminant du contenu du contrat (et donc de la présence ou de l’absence d’exclusions contractuelles).

La police d’assurance et le risque assurable

Le restaurateur avait souscrit auprès d’AXA une police d’assurance garantissant les pertes d’exploitation, et les conditions particulières du contrat[3] prévoyaient une indemnisation « sans dommage » dont la « garantie est étendue à la fermeture administrative imposée par les services, de police ou d’hygiène ou de sécurité ».

Axa opposait un refus d’indemnisation compte tenu, selon lui, du caractère inassurable de l’épidémie de COVID-19 et de ses conséquences dommageables. Le tribunal rejette cette tentative d’exclusion et considère que le contrat en question constitue la loi des parties : c’est-à-dire que la question n’est pas de savoir si le risque pandémique est un risque assurable ou non de manière générale mais bien qu’est-ce qui est prévu au contrat.

En l’absence d’exclusion formelle, le tribunal a donc ordonné le paiement à titre provisionnel de 45.000€, prenant en compte l’estimation de la marge mensuelle garantie (en appliquant une réduction au regard des incertitudes sur la période du 1er juin au 15 juillet, ce qui se confirme depuis hier avec la réouverture des restaurants).

L’ordonnance fournit un certain nombre de points utiles pour tout assuré, et rien ne semble limiter l’application de cette garantie aux seuls restaurateurs :

  • Il n’existe pas de dispositions légales d’ordre public mentionnant le caractère inassurable d’une pandémie, il incombait donc à Axa d’exclure conventionnellement ce risque, qui n’était ici pas exclu.
  • Toutes limites à la définition de « fermeture administrative » doivent être prévues contractuellement. Il n’y a donc pas de distinction entre une décision du préfet du lieu où est situé l’établissement et celle du ministre de la santé, si cela n’était pas contractuellement indiqué.
  • Sauf si prévu au contrat, l’application de la clause fermeture administrative ne doit pas nécessairement avoir pour fait générateur la réalisation préalable d’un évènement garanti au titre de la perte d’exploitation. Bon nombre de contrats prévoient que la garantie pertes d’exploitation ne couvre que les dommages matériels ou les suites d’un dommage matériel également assuré, telles qu’un dégât des eaux, un incendie ou tout autre événement affectant davantage les locaux professionnels que l’activité elle-même. Encore une fois, il faut bien analyser les clauses propres à chaque contrat.
  • Le fait de pouvoir pratiquer une activité de vente à emporter (et de le faire ou non) n’est pas en principe un obstacle lorsque l’accueil du public est « fondamental pour un restaurant traditionnel ». En revanche, la marge que procure(rerait) l’activité de vente à emporter devrait éventuellement être prise en compte dans le calcul du montant garanti. Cela peut probablement avoir une incidence pour certains assurés en fonction de leur activité.

La procédure de référé

Axa contestait le caractère urgent de l’action, ce que le Tribunal a refusé, considérant non seulement que le restaurateur démontrait au moyen d’une attestation de son expert-comptable une situation financière gravement dégradée, mais confirmant également que la situation personnelle du restaurateur ne rentrait pas en ligne de compte dans l’appréciation de la situation de la personne morale assurée, la personne morale étant autonome.

Toutefois, il ne s’agit pas ici d’une procédure au fond : l’indemnisation ordonnée l’est à titre de provision, dont le montant reste à parfaire. Un expert judiciaire a été nommé pour évaluer le montant des dommages constitués par la perte de marge brute pendant la période d’indemnisation ainsi que des frais supplémentaires d’exploitation pendant la même période.

En tout état de cause le montant garanti est propre à chaque assuré, il s’agit plus d’une décision importante sur le principe. A noter que l’assureur a fait part de son intention de faire appel de ce jugement, ce qui concernera probablement plus la question de l’engagement contractuel en tant que tel que les montants en jeu.

Et pour les autres assurés ?

Cette ordonnance fournit plusieurs éléments utiles pour analyser les polices d’assurance et identifier si le risque COVID-19 est susceptible d’être couvert ou non. L’actualité de ces dernières semaines se concentrait en particulier sur les activités de restauration, mais d’autres professions ont été touchées de plein fouet par la crise sanitaire, sans aucune marge de manœuvre pour générer un minimum de trésorerie sur la période : ces professionnels doivent également pouvoir bénéficier des clauses de leurs assurances lorsqu’applicables, c’est-à-dire réunies ou au contraire difficilement compréhensibles. Autre fait d’actualité sur ce sujet, le recours au mécanisme de l’action collective, dont la portée reste ici à démontrer tant le droit à indemnisation, et donc le fondement juridique, mais également le niveau d’indemnisation, est propre à chaque contrat.

Il faut également s’attendre à une forte opposition des assureurs, impliquant des délais et le probable nécessaire recours à des procédures judiciaires, d’autant plus eu égard aux éventuelles questions de délais de recours.

Malgré le retour à ce qui sera désormais une autre forme de normalité, et une priorité quasi-absolue à donner à la relance des activités, il faut donc agir vite pour que chaque assuré puisse valablement faire valoir ses droits, et obtenir toutes les indemnités qui ne peuvent qu’être les bienvenues mais sont avant toute chose purement et simplement dues contractuellement. Cette approche est en lien direct avec une approche « recovery » c’est-à-dire la systématisation des demandes d’indemnisation lorsque les intérêts de l’entreprise sont lésés.

Footnotes

[1] T. com. Paris, 22 mai 2020, n° 2020017022

[2] L’article L. 113-1 du Code des assurances exige que l’assuré soit clairement informé des limites apportées par le contrat aux garanties qu’il souscrit.

[3] L’ordonnance fait également référence à l’intercalaire SATEC « Conventions Spéciales Restaurants ».